Retrouvez ci-dessous l'homélie de Monseigneur Scherrer, ainsi que quelques photos de Philippe Duplan :

" Mes amis, en cette année jubilaire qui touche bientôt à sa fin, année où l'Église nous invitait à marcher en pèlerins d'espérance, l'occasion nous est donnée de contempler en Marie celle en qui s’est illustrée d’une manière singulière la vertu d’espérance.

Dans le Salve Regina, que nous chantons le soir à Complies, nous invoquons la Mère de Dieu en l’appelant "Notre espérance" : « Spes nostra, salve ! ». Marie est la radieuse étoile de l’espérance chrétienne. S’applique à Marie les mots de la Sagesse dans le Siracide : « Je suis la Mère de la sainte espérance » (24,18). Son existence tout entière est comme traversée, soulevée par le souffle de la sainte espérance, comme en témoigne, à son début, le oui qu’elle prononça au moment de l’Annonciation. Nous en avions le récit dans l'évangile de Luc qui nous a été proclamé tout à l'heure. Marie ne savait pas comment elle pouvait devenir mère, mais elle s’en est remise totalement au mystère qui allait s’accomplir, et elle est devenue la femme de l’attente et de l’espérance. Elle nous apprend qu'espérer, c'est faire totalement crédit à Dieu, c’est « se jeter complètement dans les bras de l'absolu », selon l'heureuse et forte expression de Kierkegaard. En disant Amen à la parole de l'Archange, elle acquiesce au projet de Dieu sur elle, elle tient pour vrai ce que Dieu a dit et décidé, et elle s'y soumet. Marie mise tout, en quelque sorte, sur la promesse de Dieu sans en vérifier par avance l'accomplissement ; elle a la certitude que les projets de Dieu sur elle, parce qu'ils sont des projets d'amour, sont infiniment plus beaux et plus comblants que ceux qu'elle aurait pu concevoir pour elle-même. Et c'est ainsi que le oui de Marie éclaire, comme la lumière d'un phare, notre propre existence de chrétiens baptisés.

La vertu d'espérance brille également en Marie dans le mystère de son Immaculée conception, celui que nous magnifions en cette solennité. Élevant nos cœurs et nos chants vers Marie, la Vierge immaculée, nous contemplons en elle la plus pure transparence de Dieu. Marie est la « toute-belle », la « toute-sainte », celle en qui, avec toute l’Église, nous reconnaissons et saluons la pleine réussite du projet d’amour de Dieu sur l’homme. Avec Marie, l’Immaculée, l’espérance renaît puisque, en elle et par elle, c’est toute l’humanité qui retrouve sa splendeur première. Avec Marie, l’Immaculée, l’espérance renaît parce que le prodige d’amour qui se réalise par elle en notre faveur nous dit que « rien n’est impossible à Dieu ». Avec Marie, l’Immaculée, l’espérance renaît parce que contempler l’œuvre de Dieu en elle, c’est croire qu’un chemin de grâce est possible aussi pour chacune et chacun de nous. De là vient notre bonheur, ce bonheur que la Mère de notre Seigneur nous visite ce soir, qu’elle vienne à nous avec le même empressement de charité que lorsqu’elle est venue vers sa cousine Elisabeth.

Si la Vierge est la seule à pouvoir nous tourner vers la source divine de l’espérance, c’est aussi et surtout parce que, au plus sombre de son parcours de vie, lorsqu’elle accompagnait son Fils vers le Golgotha, elle est la Femme qui « espéra contre toute espérance ». En ces instants tragiques, Marie est là, « debout », au pied de la croix : stabat Mater. Elle ne crie pas, elle ne se lamente pas, comme on le dit pour les femmes qui accompagnaient Jésus à la montée au Calvaire (f. Lc 23,27). Elle n’attire pas l’attention sur elle, elle regarde Jésus. Et dans ce regard de foi, elle perçoit la victoire de Pâques qui déjà illumine de sa lumière la nuit de la souffrance et de la mort. Sur le Calvaire, Marie n’a pas partagé seulement la mort du son Fils, mais aussi les prémices de la résurrection. Au pied de la Croix, elle n’est donc pas seulement la « Mère des dou¬leurs », mais aussi la Mère de l’espérance ; et, à ce titre, elle est bien placée pour nous éduquer à surmonter les échecs et les déceptions de la vie, les revers d'une existence éprouvée et peu souriante, parfois.

Dans le mystère de son Assomption, enfin, Marie fait resplendir la lumière de l'espérance. Le concile Vatican II l’a clairement affirmé en conclusion de la Constitution dogmatique Lumen gentium. C'est au numéro 68 : « Tout comme dans le ciel où elle est déjà glorifiée corps et âme, la Mère de Jésus représente et inaugure l'Église en son achèvement dans le siècle futur, de même sur cette terre, en attendant la venue du jour du Seigneur, elle brille déjà comme un signe d'espérance assurée et de consolation devant le peuple de Dieu en pèlerinage ». Créature comme nous, femme de notre race, Marie, en son Assomption, est la première des ressuscités après Jésus. Elle peut ainsi venir en aide à ceux qui désespèrent, elle peut accueillir, en les réconfortant, tous ceux qui cherchent refuge en elle.

Et c'est bien le sens de notre présence ici ce soir. À l'école de Marie qui espère, nous venons déposer au pied du Seigneur le fardeau de nos soucis, de nos inquiétudes, de nos peurs : nos soucis d'ordre matériel ou spirituel ; nos inquiétudes face à un avenir incertain, nos peurs de vieillir, de souffrir, de mourir. À l'école de Marie qui espère, nous réapprenons, ce soir, la grâce de l’acquiescement ; nous désirons consentir, avec elle et comme elle, aux événements qui tissent la trame de notre quotidien. Nous voulons redire avec elle notre Fiat à la volonté du Seigneur, non pas avec une âme résignée, à contrecœur, mais avec le même empressement, le même désir, la même impatience, la même joie que la sienne. « Vierge Marie, notre Mère, enseigne-nous à croire, à espérer et à aimer avec toi. Dans l'obscurité de la nuit, brille sur nous, guide-nous sur la route. Conduis-nous, instant après instant, sur un chemin de lumière, jusqu'au jour bienheureux où nous contemplerons Dieu face à face, dans la claire vision de sa splendeur ». Amen."

Thierry Scherrer
Évêque de Perpignan-Elne