Retour en images sur la Messe de la Toussaint 2025 en la Cathédrale Saint-Jean-Baptiste, accompagnée de l’homélie de l’évêque.

« Frères et sœurs, chers amis,

En cette Année jubilaire, Année sainte que le pape François avait ouverte pour l’Église universelle, c’est en « Pèlerins de l’espérance » que nous célébrons aujourd’hui la solennité de la Toussaint. Aussi l’occasion nous est-elle donnée d’approfondir le lien singulier que cette fête entretient avec la troisième vertu théologale de l’espérance. Je dirais essentiellement trois choses :

  1. Qui n’a vu, tout d’abord, que les textes liturgiques de ce jour vibrent d’une joie toute divine, la Parole de Dieu orientant nos pensées vers la perspective de notre entrée au Ciel, au terme de notre vie sur la terre. Une perspective qui ne saurait être une pensée désespérante dans la mesure où la promesse qui nous est faite, c’est d’être avec le Christ pour toujours. Aussi, en communion avec nos défunts, que nous célèbrerons demain, la Toussaint n’est pas un jour de deuil, mais est un jour de fête parce qu’elle est par excellence la fête de la Promesse : « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux », proclamait tout-à-l’heure l’évangile des Béatitudes. Célébrer la Toussaint nous ouvre à cette espérance dont la Sainte Écriture nous dit qu’elle est « vie cachée dans le Christ en Dieu », que cette vie est déjà déposée pour nous dans les cieux et qu’elle paraîtra lorsque le Christ lui-même paraîtra dans la gloire à la fin des temps. Et puisque le Christ, dont nous attendons le retour glorieux, est ressuscité d’entre les morts, être avec lui pour toujours, c’est vivre avec lui d’une vie nouvelle, une vie incorruptible, inaltérée et inaltérable, une vie de laquelle est exclue toute maladie, toute faiblesse, toute limitation attachée à notre condition mortelle. « Être avec le Christ », telle est bien, encore une fois, la béatitude promise, une béatitude à laquelle nous sommes tous appelés et qui doit par conséquent répandre en nos cœurs l’espérance au lieu de l’effroi, singulièrement lorsque la pensée de la mort nous visite.
  2. La deuxième chose que je voudrais dire est que cette espérance qui doit nous habiter est tout sauf une espérance paresseuse : c’est une espérance active qui exige de nous un engagement radical au plan de notre vie personnelle, familiale, ecclésiale ; elle requiert de nous que toutes nos facultés soient en éveil, qu’elles deviennent mouvement, en quelque sorte, pour nous arracher à notre égoïsme, pour nous soustraire à la pesanteur de cette terre et nous élever vers la véritable altitude de notre être, vers les promesses de Dieu. Notre foi chrétienne nous dit en effet que la béatitude promise n’est pas de l’ordre d’un don inconditionnel : elle ne peut être obtenue qu’avec le concours de notre liberté coopérante, elle appelle par conséquent en chacune de nos vies la sanctification. Comme le dit l’auteur de l’épître aux Hébreux : « Recherchez activement la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle personne ne verra le Seigneur » (12,14). La sanctification, c’est la conformité à ce Dieu qui nous a dit : « Soyez saints comme je suis saint », « soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48). La sanctification est la restauration de l’image divine qui a été imprimée en nous à l’origine, mais que notre péché a défigurée. Et donc, à l'instar de ces bienheureux de l'Apocalypse qui sont passés par la « grande épreuve », la sanctification est de l’ordre d’un combat de tous les jours, étant tout à la fois l’accueil libre et le plein effet en nous de cette œuvre réparatrice que le Christ a accomplie en mourant sur la croix pour notre salut. Concrètement, il s’agit de faire du quotidien de nos vies le lieu du plus grand amour avec la grâce de l’Esprit saint qui habite en nous. La sainteté consiste donc à vivre le commandement de l’amour de Dieu et du prochain dans les plus humbles tâches de chaque jour, que ce soit en famille, dans notre milieu professionnel, dans nos engagements associatifs ou politiques, et même au cœur de nos loisirs.
  3. La troisième chose que je voudrais dire rejoint la belle initiative de l’icône pèlerine que notre communauté de paroisses Saint Jean Baptiste célèbre aujourd’hui pour inviter les familles à honorer cette demande expresse de Jésus dans l’évangile : « Priez le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson ». Saint Thomas d’Aquin dit, dans sa Somme théologique, que la prière est l’interprétation de l'espérance, que prier est la langue de l'espérance. Et très concrètement, c’est en nous enseignant le Notre Père que le Seigneur Jésus nous a appris l'espérance. La prière du Notre Père est par excellence l'école de l'espérance, son apprentissage concret. Un homme désespéré ne prie plus, car il n’espère plus ; un homme orgueilleux, sûr de lui et de son pouvoir, ne prie pas non plus, car il ne compte que sur lui-même, il n'a pas besoin de Dieu. Celui qui prie, en revanche, est comme un être en creux qui appelle un don venu d'en-haut, qui aspire à être rempli par une bonté infiniment supérieure à lui et qu'il ne saurait se donner à lui-même. La prière, c'est l'espérance en action. Apprendre à prier, c'est apprendre à espérer, et c'est par là même apprendre à vivre. Avec cette précision qui me semble importante : on pense souvent – et à tort –, qu’il faut être saint pour prier, alors qu’il faut prier pour être saint ! Alors, oui, prenons au sérieux cet appel de Jésus à prier le Maître de la moisson. Car le Seigneur continue aujourd’hui d’appeler des ouvriers à sa moisson, il continue dans la pure gratuité de son amour d’éveiller des libertés humaines. Et s’il le fait, c’est pour leur donner de collaborer à son œuvre de salut pour le monde. C’est bien cela, en effet, le grand mystère de la vocation : Dieu qui n’a pas besoin de nous pour sauver le monde veut pourtant nous associer à son œuvre de salut : il veut faire de chacune et chacun de nous, comme le disait le Cardinal Suhard, des « prophètes de l’action libératrice de Dieu » au cœur du monde.

Qu’est-ce que nous révèle au fond la solennité de la Toussaint ? La Toussaint est une fête qui célèbre la certitude de la réussite du projet de Dieu. Elle nous redit que, pour chacun, une nouvelle vie est possible. Une vie qui ne soit pas vécue simplement à l’horizon des plaisirs de ce monde mais qui puisse, au contraire, s’affranchir de la médiocrité du péché pour devenir lumineuse, de la beauté même de Dieu ; une vie qui soit pour les autres le signe que l’amour de Dieu peut tout transformer, qu’il peut tout refaire à neuf. Qu’il en soit ainsi pour chacun de nous. Amen. »

Mgr Thierry Scherrer
Évêque de Perpignan-Elne