Ce jeudi 2 février, à l'occasion de la célébration de la Présentation de Notre Seigneur Jésus au Temple, Monseigneur Thierry Scherrer a célébré la Fête de la vie consacrée à la chapelle Saint Jean-Paul II au cours de laquelle il a prononcé l'homélie qui suit ...

Chers frères et sœurs, mes amis,

Je vous redis ma joie de célébrer au milieu de vous cette fête de la Présentation du Seigneur qui est traditionnellement la fête de tous les consacrés dans notre Église. Cette fête, nos frères d’Orient aiment l’appeler la fête de la « Rencontre ». C’est la rencontre en effet entre l’ancienne Alliance et la nouvelle, entre la promesse et son accomplissement. C’est la rencontre entre l’obéissance à la Loi et la docilité à l’Esprit, toutes deux se donnant rendez-vous au Temple, lieu symbolique de la présence de Dieu. C’est la rencontre entre notre vieille humanité, courbée par les siècles et accablée par le péché, et le Sauveur, le Christ Jésus, qui vient renouveler en lui toute la création. C’est la rencontre entre le Messie du Seigneur et la communauté des justes et des « pauvres », représentée par Syméon et Anne. Cette communauté des « pauvres », assidue à la prière du Temple, était habitée par l’espérance de la « consolation d’Israël » tout en restant ouverte au salut des nations. C’est ainsi, que sous l’inspiration de l’Esprit, Syméon annonce que le Christ Sauveur ne serait pas seulement « la gloire d’Israël son peuple », mais « la lumière pour éclairer les nations païennes ». C’est pourquoi cette fête de la Rencontre est aussi la fête des Lumières, une fête qui valorise la double dimension de la vie consacrée, la dimension mystique et la dimension prophétique. Pour des religieux-religieuses, être lumière du monde avec le Christ, c’est devenir chaque jour davantage à la fois des mystiques et des prophètes. Permettez-moi de reprendre l’une après l’autre chacune de ses deux dimensions : la mystique de la consécration et la prophétie de la mission.

Être mystique, tout d’abord, ce n’est pas avoir les mains jointes et les yeux en blanc d’œuf…! C’est retrouver dans le quotidien de nos vies ordinaires la puissance de la Parole et de la prière. On ne saurait en effet vouloir crier Dieu au monde entier sans avoir fait préalablement l’expérience de son intimité et de sa grâce. Concrètement, la mystique de la consécration se vit dans la rencontre avec Jésus, dans le contact, la familiarité avec sa vie et sa personne. En ce sens, la mystique de la consécration n’est pas une mystique de la souffrance, du sacrifice et du renoncement – encore qu’elle ne l’exclut pas, car le renoncement à soi-même fait bien entendu partie du chemin, il est constitutif de notre être baptismal – mais c’est une mystique joyeuse parce qu’elle est la mystique de l’union sponsale avec le Christ. Être mystique, c’est, à la manière du vieillard Siméon, goûter la joie intense de pouvoir tenir Jésus dans ses bras, le serrer tout contre son cœur, le dévorer littéralement du regard pour être illuminé et transformé à son contact. N’est-ce pas ce que nous expérimentons, pauvrement mais réellement, dans l’oraison et l’adoration quotidiennes où s’opère, par le regard inlassablement porté sur Jésus, une véritable transfusion de lumière et de vie. C’est la condition nécessaire pour expérimenter cette joie plus grande encore, celle de pouvoir donner Jésus à tous ceux que le Seigneur nous permet de croiser sur nos routes, au quotidien de chacune de nos vies.

Et c’est là que la mystique est indissociablement prophétie. C’est la deuxième dimension de la vie consacrée, inséparable de la première. Un prophète, nous le savons, ce n’est pas un rêveur ou quelqu’un qui prédit l’avenir ; le prophète, c’est celui qui est à ce point identifié à la personne du Christ qu’il en devient signe pour les autres. On ne peut pas, en effet, être passionné pour le Christ sans être passionné pour l’humanité. La rencontre avec le Christ vécue dans la prière est le lieu-source d’un amour qui se fait engagement et service du prochain, spécialement auprès des plus faibles et des plus petits. Et c’est ainsi que la prophétie de la mission se présente sous le visage de la compassion, de l’amour et de l’attention aux blessés de la vie. Je le disais à l’occasion des vœux, ici même : nous vivons dans une société fracturée où l’aspiration à la fraternité et à la solidarité n’a jamais été aussi intense. Et c’est bien là que notre témoignage de consacrés est attendu. Dans cette société fragmentée – le pape François parle d’un « monde en morceaux » –, la vie consacrée s’offre comme un magnifique signe évangélique avec, comme tâche prophétique essentielle, justement, celle d’humaniser le monde, de le rendre plus fraternel. Avec cette précision toute fois : la vie consacrée ne sera capable d’humaniser notre culture et notre société qu’à la condition qu’elle soit d’abord humanisante pour ses propres membres. Et c’est tout l’enjeu d’une fraternité vécue d’abord au sein même de chacune de nos communautés. S’engager à réaliser des communautés fraternelles, c’est attester que, grâce à l'Evangile, la fraternité est possible, que l'amour n'est pas une utopie, mais qu'il s’offre comme un ciment pour construire un monde plus juste et plus fraternel.

Dans l’eucharistie que nous célébrons maintenant, renouvelons dans le silence de nos cœurs l’offrande que nous avons faite de nous-mêmes au Seigneur pour l’Église et pour le monde. Vivons cette célébration comme la fête de la « Rencontre » par excellence, rencontre avec le Christ et rencontre, en lui, avec les autres. Nous sommes portés par Marie dans cette offrande, elle qui a été associée intimement au Mystère de la Croix de son Fils. AMEN.

✠**Thierry Scherrer, Évêque de Perpignan-Elne
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