Samedi 13 janvier, entouré des religieux, des laïcs et des fidèles du diocièse Perpignan Elne, Monseigneur Thierry Scherrer présentait, pour la première fois, ses voeux pour l'année 2024 ...

Mes amis, je suis heureux de prendre devant vous la parole en cette cérémonie des vœux que j’ai voulu instaurer pour lancer notre pastorale en ce début d’année. Vous imaginez les sentiments qui m’habitent : si j’interviens ce matin, c’est le cœur gonflé de gratitude pour l’accueil que vous m’avez réservé. C’est vrai qu’il y a toujours une part d’inconnu dans la situation liée à la nomination d’un évêque. La procédure canonique est longue et l’attente peut à certains moments être habitée par l’inquiétude. Vous avez gardé confiance malgré tout ! Vous ne m’avez pas choisi, et je ne vous ai pas choisis non plus ; mais, comme je vous l’ai dit dès le jour de ma nomination, avant de vous connaître, je vous aimais déjà. Mgr Norbert Turini, mon prédécesseur, aime à rappeler les mots du Bienheureux Alain de Solminihac, évêque de Cahors, à Louis XIII qui le nommait évêque. « Je vous donne le diocèse de Cahors », avait dit le souverain. À quoi l’évêque lui avait aussitôt répondu : « Non, sire, vous me donnez au diocèse de Cahors ». C’est dans cet état d’esprit que, bien humblement, j’essaie de vivre mon ministère au milieu de vous depuis bientôt sept mois. Et je le fais avec d’autant plus de liberté que mon successeur à Laval a été nommé le 9 janvier dernier : c’est Mgr Matthieu Dupont, du diocèse de Versailles, qui sera ordonné le 9 mars à Pontmain.

Ce que, bien simplement, je voudrais vous partager ce matin, c’est tout d’abord ce que j’ai découvert depuis mon arrivée, ce sont ensuite quelques points d’attention pastorale parmi d’autres, et un message enfin, pour conclure, pour nous lancer en Église diocésaine sur les chemins de la mission.

Ce que j’ai découvert : ce sont les ressources incroyables que possède le beau diocèse de Perpignan-Elne, c’est la belle vitalité de la foi populaire que manifestent nos communautés paroissiales avec les rassemblements des Aplec, des Festa Major et autres événements marquants de la vie de nos villes et de nos villages : je pense, entre autres, à la messe de clôture du festival de Pablo Casals à Prades ou bien aux 900 ans de la consécration de l’église de Montesquieu des Albères en juillet dernier. En Pyrénées-Orientales, c’est simple, l’évêque est invité quasi partout ! Cela m’a valu de sillonner le département tout l’été pour répondre autant que faire se pouvait aux sollicitations qui m’étaient faites, toujours avec enthousiasme, le cœur et les yeux ouverts à tout ce que je pouvais vivre au jour le jour. Mon émerveillement vient aussi de la découverte du somptueux patrimoine artistique et religieux et de l’engagement résolu du département et des municipalités pour en valoriser la richesse. Et quel bonheur de vivre les visites pastorales que j’ai entamées dès ce mois de novembre ! À Argelès, d’abord, Perpignan-Nord, il y a un mois, à Céret cette semaine, à Font-Romeu la semaine prochaine : joie de rencontrer mes frères prêtres et diacres sur le terrain, d’aller à la rencontre de la vie consacrée, d’échanger avec les élus locaux, de percevoir l’engagement généreux de tant de fidèles laïcs qui se mettent au service de notre Église diocésaine ! C’est tout simplement magnifique !

Quelques points d’attention pastorale parmi d’autres qui rejoignent l’actualité que nous vivons en ces jours.

J’évoquerais d’abord l’attention aux personnes en fin de vie. Nous venons en effet de célébrer Noël, une fête qui réinterroge sans cesse notre rapport à la faiblesse et à la vulnérabilité. C’est un fait que notre monde, tenté par la rentabilité économique et le culte de la performance, tend à laisser les plus faibles sur le bord de la route. Or une société ne se montre véritablement humaine que lorsqu’elle donne toute leur place aux personnes vulnérables. La barbarie commence, au contraire, lorsque, sous couvert de sentiments altruistes et de fausse compassion, on en arrive à hâter la mort de ceux dont la vue ou la situation d’extrême vulnérabilité nous gêne. L’euthanasie, disons-le franchement, est une démission collective ; elle est le choix d’une société qui n’accepte pas la faiblesse, la fragilité. Or aucun être humain ne touche la vie sans passer par la vulnérabilité, la vulnérabilité est liée à la condition humaine même. Mais affronter la vulnérabilité est difficile, parfois intolérable. C’est cela qui légitimement peut faire peur. Les personnes en fin de vie, celles atteintes d’un handicap nous disent justement la vie par leur faiblesse même. Leur vulnérabilité appelle non pas l’exclusion ou la peur, mais un regard de bienveillance qui peut être l’occasion de gestes incroyables de générosité et d’amour. Chrétiens, soyons les serviteurs de la vie jusqu’au bout !

J’aborde aussi les préoccupations climatiques autour de la sécheresse. Mon intention ici n’est pas de verser dans le catastrophisme, d’autant que la pluie et la neige ont refait leur tardive et timide apparition ces derniers jours dans notre département, et c’est tant mieux ! Mais un réalisme de bon aloi nous impose de regarder les choses en face et de considérer que, consécutivement au déficit pluviométrique sévère et durable qui affecte la quasi-totalité de l’arc méditerranéen, et ce, depuis deux ans, la situation est préoccupante. J’ai, à deux reprises déjà, eu l’occasion d’exprimer ma solidarité entière aux agriculteurs et viticulteurs du département qui entrevoient l’avenir avec pessimisme. Le 16 décembre, le jour où je bénissais le Muscat de Noël à la cathédrale, ce sont les éleveurs de Cerdagne qui se sont joints à la cohorte des agriculteurs en difficulté : ils n’ont plus assez de fourrage pour nourrir leurs bêtes. Alors, que pouvons-nous faire au niveau qui est le nôtre ? J’encourage, bien entendu, les processions à Saint Gaudérique et toute autre tradition de prière confiante vers le Seigneur de la Création afin que descende à nouveau sur nos terres desséchées les bienfaits d’une pluie vivifiante. Mais nos rogations n’auraient qu’une portée symbolique si, dans le même temps, nous ne nous encouragions pas à la conversion de nos modes de vie. Qui ne voit, en effet, que notre planète agonise sous l’effet d’une surconsommation massive qui en épuise inexorablement les ressources. Il est encore temps de changer nos habitudes en quittant le mirage de l’accumulation pour entrer dans la « sobriété heureuse ».

J’évoque enfin le souci des vocations. Si la grande faveur m’a été donnée pouvoir ordonner deux prêtres (Philippe et Vincent) le dimanche qui a suivi mon installation, puis deux diacres (Alexandre et Yann) à Elne le dimanche de la solennité du Christ-Roi, j’ai la vive conscience que les vocations ne tombent pas du ciel comme par enchantement. Les prêtres, en particulier, ne naissent pas par génération spontanée ; ils sont le fruit d’une longue gestation spirituelle qui ne peut venir que du souci pastoral des communautés en leur ensemble et de leur intercession confiante et suppliante. « Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson », nous dit Jésus. C’est la seule demande expresse que le Seigneur adresse à ses disciples dans l’Évangile. C’est dire à quel point il importe que cette intention soit portée régulièrement au cours des célébrations dominicales et que, prêtres, diacres, laïcs tous ensemble, nous offrions les conditions optimales pour que résonne dans le cœur des enfants et des jeunes l’appel à suivre le Christ avec joie en se mettant au service de son Église. C’est toujours l’humus d’un peuple, sa prière et son témoignage qui, de près ou de loin, constituent le terreau sur lequel naissent et se développent les diverses vocations.

Un message pour finir. Je l’exprime simplement par le beau mot de fraternité. Nous vivons en effet dans une société fracturée où l’aspiration à la fraternité et à la solidarité n’a jamais été aussi intense. Et c’est bien là que notre témoignage est attendu. Quand on lit les Actes des apôtres, on voit que la priorité de l’Église des premiers chrétiens n’est pas d’abord le culte. Elle s’organise à partir d’un essentiel : les relations fraternelles amoureusement tissées et sans cesse recréées lorsque les égoïsmes les fracturent. Nos pastorales doivent être inventives en promouvant la culture de la rencontre, autrement dit en donnant le champ libre à la spirale vertueuse de la réciprocité qui construit la communion et apporte la joie.

Mes amis, tel est le vœu que je forme au seuil de cette année nouvelle. Au cœur de ce monde en souffrance, soyons des chrétiens responsables et des témoins de l’espérance ! Des chrétiens responsables, ce sont des hommes et des femmes courageux qui ne se résignent pas à voir ce monde s’effondrer mais qui décident d’être, avec d’autres, les bâtisseurs d’un monde nouveau. Alors, tous ensemble, chrétiens des Pyrénées-Orientales, soyons l’Église de la Fraternité et de la Rencontre ! És bonica la nostra església al país català ! Amics, us desitjo un feliç any nou !

✠ Thierry Scherrer
Évêque de Perpignan-Elne