Messe Chrismale 2024

Frères et sœurs, mes amis,

C’est une grande joie pour moi, votre évêque, de présider au milieu de vous ce soir cette liturgie si belle et si riche de la messe chrismale grâce à laquelle nous allons vivre ensemble comme un pèlerinage aux sources de l’Église, un pèlerinage aux sources de notre baptême. Cette messe qui valorise la belle complémentarité des appels et des vocations est aussi l’occasion de signifier l’étroite collaboration que l’évêque vit avec ses prêtres et ses diacres dans l’exercice de la charge pastorale qui lui est confiée par l’Église. 

« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ». Ces paroles du livre d’Isaïe rapportées par l’évangéliste saint Luc reviennent à plusieurs reprises dans la liturgie d’aujourd’hui, elles en constituent le fil conducteur. Elles rappellent un geste rituel qui possède une longue tradition dans l’ancienne Alliance, un geste qui s’est perpétué dans l’histoire du peuple élu lors de la consécration des prêtres, des prophètes et des rois. À travers le signe de l’onction, Dieu lui-même confie la mission sacerdotale, prophétique et royale aux hommes qu’il appelle, et il rend sa bénédiction visible pour l’accomplissement de la tâche qui leur est confiée. « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ». Dans la synagogue de Nazareth, Jésus s’approprie ces paroles avec une autorité qui surprend, qui stupéfie même ses auditeurs. « Cette parole que vous entendez, leur dit-il, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Par ces mots, Jésus se désigne comme étant l’unique et définitif « consacré », celui que le Père a oint de cette Onction qui est l’Esprit Saint en personne. C’est lors de son baptême dans les eaux du Jourdain que Jésus a reçu l’onction messianique. Jésus a été baptisé pour nous baptiser dans l’Esprit Saint. Ce jour-là, « c’est bien l’Esprit de Dieu, écrit saint Irénée, qui est descendu sur lui, l’Esprit de Dieu même qui, par les prophètes, avait promis de lui conférer l’onction, afin que recevant nous-mêmes de la surabondance de cette onction, nous soyons sauvés » (AH III,9,3). C’est donc en tant que Tête que le Christ a été oint au baptême en vue de sanctifier son Corps qui est l’Église. Ainsi que l’exprimait déjà magnifiquement saint Ignace d’Antioche dans son épître aux Éphésiens : « Si le Seigneur a reçu une onction sur la tête, c’est afin d’exhaler pour son Église un parfum d’incorruptibilité » (XVII, 2). 

Quelle merveille, mes amis ! Par la grâce de notre baptême et de notre confirmation, nous sommes rendus participants de l’onction messianique du Christ dans sa triple dimension sacerdotale, prophétique et royale. Cette onction de l’Esprit qui nous imprègne durablement nous assimile à la vie de Jésus. Elle nous enseigne Jésus, nous le rappelle, le fait revivre en nous et pour nous à chaque instant de notre vie. Elle nous pousse dans le même sens que Jésus durant sa propre vie terrestre, c’est-à-dire dans le sens de l’amour et du don de soi, un don joyeux et constant, un don joyeux pour être constant. C’est dire que, fondamentalement, la vocation du chrétien baptisé est d’être un diffuseur de lumière, un diffuseur d’amour ainsi que le manifeste sensiblement le parfum du saint chrême que je vais dans un instant consacrer. Par les œuvres bonnes que nous réalisons, nous contribuons à répandre autour de nous la bonne odeur du Christ au cœur du monde. C’est en voyant nos œuvres bonnes, en effet, que les hommes, nos contemporains, pourront croire à leur tour. Cela, c’est une mission immense pour nous chrétiens, un défi quotidien, une responsabilité permanente : rendre crédible par notre engagement chrétien et le service désintéressé des autres le message d’amour de l’Évangile. L’Église, vous le savez, n’existe que pour annoncer l’Evangile.

Sans doute aurons-nous noté que, dans le passage d’Isaïe que Jésus s’approprie, l’insistance est mise d’une manière particulière sur l’onction prophétique : « Il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres ». C’est important, car l’Église aujourd’hui ne peut pas être signe du Christ, signe du salut qu’il apporte au monde sans une attention renouvelée aux pauvres. Cette mission nous incombe à tous en solidarité étroite avec nos frères diacres qui vivent, par leur ministère, au plus près des précarités actuelles. En portant la Bonne nouvelle aux pauvres, nous découvrons d’ailleurs que ce sont eux, d’abord, qui nous évangélisent. Combien de fois nous en faisons l’expérience : les pauvres nous disent l’évangile par leur pauvreté, par leurs faiblesses mêmes : pauvres de moyens matériels, pauvres par leur santé psychologique ou mentale, pauvres dans leurs affections humaines, pauvres que la société rejette et exclut. Tous sont à leur manière des épiphanies de Dieu au cœur du monde. Merci aux diacres d’être pour notre Église diocésaine les signes du Christ-Serviteur, lui que le Père a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres. Et merci à leurs épouses de les encourager et de les accompagner dans cette belle mission.

Chers frères prêtres, à notre tour ce soir, chacun peut reprendre à son compte les paroles du prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par l’onction ». Le jour de notre ordination en effet, nous avons été rendus, à un titre singulier,participants de l’onction sacerdotale du Christ. À partir de ce moment, la puissance de l’Esprit Saint qui s’est répandue sur nous a transformé notre existence pour toujours. Alors, bien sûr, l’imposition des mains n’a pas fait de nous, comme par magie, des hommes refaits à neuf. Elle n’a pas supprimé les rudesses de tempéraments, les aspérités de notre nature pécheresse. Elle ne nous pas, non plus, affranchis des vicissitudes de l’existence. Car les difficultés du ministère sont bien là, sans doute plus nombreuses aujourd’hui qu’hier. Elles s’accroissent même avec les épreuves de l’âge et la souffrance bien réelle aussi de constater que la relève peine à venir. Il n’empêche : cette puissance reçue de l’Esprit le jour de notre ordination ne peut nous faire défaut. Elle jaillit en permanence de notre cœur et de nos mains de prêtres pour que s’opère aujourd’hui encore la grâce du salut apportée par le Christ. Et cela doit nous tenir dans la louange du cœur et une continuelle action de grâce.

Mes amis, avec nos frères et sœurs catéchumènes qui seront bientôt baptisés et confirmés, mon cœur d’évêque s’associe à toutes les personnes éprouvées dans leur santé qui recevront l’onction des malades dans les prochaines semaines pour accueillir la force de Dieu. Je pense en particulier à celles et ceux que j’accompagnerai au mois de mai à l’occasion du pèlerinage diocésain à Lourdes. Prenons-les d’ores et déjà dans notre prière. Dans la grâce de l’onction que nous avons tous reçue, prenons avec audace notre part dans l’annonce de l’évangile. Laïcs, religieux-religieuses et ministres ordonnés tous ensemble, sans esprit de rivalité mais dans la joyeuse émulation qui nous vient de l’Esprit, relayons la bonne nouvelle d’un Dieu qui continue aujourd’hui encore d’aimer et de sauver le monde. Amen.

✠ Thierry Scherrer, Évêque de Perpignan-Elne

Rameaux 2024

Frères et sœurs,

​La proclamation du récit de la Passion chez l’Évangile de saint Marc a pu paraître à certains quelque peu longue et fastidieuse. C’est pourtant le cœur palpitant du message chrétien que de nous rappeler les événements par lesquels le Christ a obtenu, par sa vie offerte jusqu’à la mort, la rançon de notre salut. Nous savons que la Croix était chez les Romains le supplice le plus infamant réservé aux esclaves coupables de délits majeurs. La crucifixion n’était pas seulement une exécution, c’était une torture lente. Le condamné était d’abord fouetté, conduit au lieu de l’exécution, chargé sinon de la Croix complète, tout au moins du poteau transversal, puis attaché nu et ensuite cloué au gibet où il agonisait en proie à des soubresauts et à des souffrances atroces, tout le poids de son corps pesant sur ses plaies. Mais l’horreur de la Croix ne se limite pas à des souffrances corporelles ou physiques, aussi effrayantes soient-elles. La vraie passion de Jésus en réalité est celle qui ne se voit pas et qui le fait s’écrier au jardin de Gethsémani : « Mon âme est triste à mourir ».

Jésus est mort intérieurement avant de mourir corporellement. À Gethsémani, d’abord, puis sur le Golgotha, c’est la masse monstrueuse des péchés de l’humanité entière, les péchés collectifs comme les péchés personnels de chacun, qui assaille Jésus et le livre, au plus profond de son âme humaine, à un combat titanesque où toutes les forces de l’enfer se liguent contre lui. C’est le flot de boue, de mort et de désespoir du monde entier, du début à la fin de l’histoire, qui déferle sur le Christ crucifié. 

S’il fallait recourir à une image pour évoquer ce mystère, il n’en est pas de plus suggestive, me semble-t-il, que le miracle de la photosynthèse. De même que les plantes et les arbres, par l’effet de l’énergie lumineuse, absorbent le gaz carbonique pour le transformer en oxygène, de même sur le bois de la Croix, Jésus a pris sur lui tout le péché, toute la souillure de l’humanité pour les transformer en amour. Par la seule puissance de l’amour, Jésus a transformé notre mort en vie. C’est peut-être le symbolisme que nous pourrions attacher à ce rameau béni que nous ramènerons chez nous. Qu’il est fort et puissant notre Jésus dans sa faiblesse et sa vulnérabilité ! Tandis qu’ils l’avaient mis en Croix, les bourreaux espéraient de sa part des mots de haine et de révolte ; mais Jésus n’a prononcé que des mots empreints de douceur, des paroles de pardon et d’amour. Le miracle, justement, c’est qu’au moment où la mort semble en lui victorieuse, elle est définitivement vaincue. Lorsque la haine, en lui, semble tout submerger, l’amour du Christ fait tout retourner vers la vie. Parce que Jésus a pris sur lui toute souffrance et toute haine, il nous en libère. C’est cela la merveilleuse alchimie de la Croix. Ceux qui ont pu pénétrer ce mystère, ceux qui ont reconnu le prodige d’amour dont il était la révélation en ont eu le cœur transpercé, bouleversé. Leur vie en a été changée radicalement, ils sont devenus les amis de la croix, les témoins brûlants de son amour sauveur. 

​Ce matin, la liturgie nous invite à déposer notre insensibilité, notre indifférence, notre orgueil au pied de la Croix. Elle nous porte à regarder Jésus que nous avons transpercé pour que la considération de sa vie livrée jusqu’à la mort nous décide à aimer Dieu en retour, à aimer les autres en Lui avec plus de détermination et de générosité. Et peut-être aussi que la célébration de ce jour pourrait nous ouvrir à la démarche de la confession sacramentelle. En vivant pour de bon l’expérience du pardon de Dieu, nous pourrions prendre la décision ferme et – autant que cela dépend de nous – irrévocable de ne plus commettre de péché volontaire, spécialement « tel péché » auquel nous sommes encore secrètement attaché. Ce serait une manière concrète de vivre la conversion, en sachant que se convertir, c’est traverser le mur du mensonge et se mettre du côté de la vérité, c’est-à-dire de Dieu. Qu’il en soit ainsi. Amen

✠ Thierry Scherrer, Évêque de Perpignan-Elne

Jour de Noël 2023 – Cathédrale Saint Jean-Baptiste de Perpignan

Frères et sœurs, mes amis,

Cette année encore, la féérie de Noël s’est invitée dans nos villes, égayant les rues et les places de ses lumières multicolores. Et c’est tant mieux ! Pour quelques jours, pour quelques heures, nous nous prenons à rêver d’un monde où la fraternité est possible, un monde où le bonheur et la paix seraient comme à portée de main, et comment ne pourrions-nous pas le faire ? Imaginons un instant ce que pourrait être un monde où il n’y aurait plus de missiles menaçant les continents, un monde où les chars et les blindés ne seraient plus retranchés derrière les lignes frontalières, un monde où toute l’ingéniosité des chercheurs, des scientifiques, des biologistes serait mise au service de l’homme et de sa dignité, au service de la défense des plus vulnérables. Se peut-il que l’inventivité créatrice des humains soit à ce point productive, efficiente qu’elle trouve des solutions durables à la faim dans le monde, aux maladies dégénératives, à la détérioration du climat ? En cette solennité de Noël, oui vraiment, tout espoir est possible, tout rêve est permis. 

Et pourtant, Jésus n’est pas un marchand d’illusions, un distributeur de rêves, un fabricant de magie. Comme l’écrivait Péguy : « Jésus-Christ n’est pas venu nous conter des fariboles ». « Il s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (saint Irénée), rien de moins que cela ! Alors avec vous, mes amis, ce matin, je demande la grâce que nous puissions entrer vraiment dans le mystère de Noël. C’est le vœu que je forme pour vous lorsqu’en famille, tout-à-l’heure, vous allez vous réunir autour d’une bonne table et vous échanger des cadeaux. Puissiez-vous gouter à plein la joie de cette fête, savourer ces instants si doux de bonheur et d’amour partagé. Mais sans oublier que ce petit enfant attendrissant qui nous tend ses deux bras est né pauvre dans la misère d’une étable insalubre et que son incarnation s’est produite dans le climat inhospitalier d’un pays sous occupation romaine. Déjà, du temps de Jésus, la Terre sainte était secouée, fracturée par la violence. Déjà, celle qu’on appelle « la ville de la paix », Jérusalem, était le théâtre de conflits meurtriers et sanglants. Rappelons-nous le massacre des innocents qui surviendra sitôt la naissance de Jésus et entraînera l’exil de la Sainte famille jusque dans le pays d’Égypte. Et regardons ce qu’il en est, deux mille ans plus tard : ce sont des scènes d’horreur et de chaos que nous offre l’actualité terrible du Proche-Orient. 

Ce sont les deux appels majeurs que nous relaie cette année la fête que nous célébrons.

Appel, tout d’abord, à ne pas vivre Noël enfermés dans la bulle de notre individualisme, de notre égoïsme. Réjouissons-nous, festoyons, bien sûr, avec modération et sans gaspillage ! Mais en ayant à l’esprit, et surtout dans le cœur, ces visages de tous ces hommes, ces femmes et ces enfants qui vivent peut-être à notre porte, qui constituent notre voisinage le plus proche et qui manquent d’argent, de considération, d’amour. Pensons à ces exilés par milliers que les aléas de la guerre, des famines, des injustices économiques et sociales contraignent aujourd’hui à fuir leur pays d’origine pour aller vivre ailleurs... Ceux qui ont tout perdu, leur maison, leur métier et leurs biens, et qui se retrouvent massés avec leurs familles dans des camps de fortune. Pensons à tous ces petits orphelins que la violence des guerres, en Ukraine, en Russie et ailleurs, arrachent à leurs parents et à leurs proches ? Jésus continue de naître pauvre aujourd’hui dans la vie de tous ceux que notre monde exclut. 

Appel, ensuite, à devenir des artisans d’amour, des bâtisseurs de paix. C’est le message des anges à Bethléem : « Gloire à Dieu et paix sur la terre aux hommes que Dieu aime ! » De cette paix, Dieu en porte le premier le souci, et ce n’est pas pour rien qu’Isaïe entrevoit le Messie à venir comme le « Prince de la paix ». Nous l’entendions dans la première lecture de cette messe : « Comme ils sont beaux les pas du messager qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut ». Mais cette paix qu’il apporte dans la naissance de son Fils, Dieu veut que nous en soyons les bâtisseurs avec lui. Dieu nous rend coacteurs, en quelque sorte, il nous rend coresponsables de ce projet de paix pour l’humanité entière. C’est comme si Dieu avait remis notre destinée entre nos mains. Cela veut dire que la paix, la fraternité, c’est à nous de la construire. Et cela passe par mille initiatives toutes simples, des gestes d’attention et de bienveillance, des paroles d’encouragement qui redonnent confiance, des sourires à allumer sur les visages des plus tristes, un pardon donné ou reçu : quelqu’un nous aurait-il causé du tort, osons avec lui un geste de tendresse et de réconciliation. Fuyons les sentiments qui détruisent. Ne marinons pas dans le jus aigre de nos rancœurs, de nos amertumes, de nos désirs de vengeance. Noël, c’est un appel à nous risquer à la rencontre de l’autre, appel à vivre des réconciliations dans nos familles, nos voisinages ou nos lieux de travail. C’est Noël, quand la haine se change en amour ! C’est Noël, quand la discorde fait place au pardon ! C’est Noël, quand l’indifférence s’ouvre à l’amitié ! Oui, c’est notre monde qui s’illumine chaque fois que se multiplient les gestes de solidarité et de partage. 

Noël en définitive est d’abord un mystère intérieur. C’est en chacune et chacun de nous que Dieu veut naître. Ce matin, Dieu veut naître en nous et, en naissant en nous, il veut nous faire naître à nous-mêmes : naître à notre véritable identité, naître à notre liberté d’enfants de Dieu, naître à une existence de lumière et de paix. L’enjeu, le grand défi pour chacun sera de croire que Dieu peut faire toutes choses nouvelles pour donner à sa propre vie un nouvel élan, un nouveau départ. Serons-nous capables de préparer à Jésus tout-petit un berceau dans notre propre cœur pour l’accueillir comme le grand cadeau de Dieu pour nous ? Je le souhaite ardemment avec vous. Ouvrons donc la porte de nos cœurs à l’Enfant de Bethléem qui désire nous combler de ses dons. Et laissons-nous emporter par la joie de Noël, source de tendresse et d’amour. Amen.

✠ Thierry Scherrer, Évêque de Perpignan-Elne

Nuit de Noël 2023 - Cathédrale Saint Jean-Baptiste de Perpignan

Frères et sœurs, mes amis, 

Comment ne pas nous identifier ce soir à cette foule plongée dans la nuit que le prophète Isaïe contemple en première lecture. C’est trop évident en effet que notre monde est un monde où règnent encore les ténèbres. L’actualité toujours aussi peu souriante n’a guère de mal à nous en convaincre. Et chacun de nous ici rassemblés ne vient-il pas avec ses soucis et ses difficultés, ses incertitudes et ses doutes ? Oui, nous habitons « le pays de l’ombre », nous qui ployons sous le poids d’épreuves parfois lourdes : épreuve du deuil, de la maladie, de la solitude, de la dépression. Et en cette période d’inflation économique sévère que nous traversons, comment ne pas penser à celles et ceux que touche l’épreuve du chômage, de l’exclusion ou de la précarité ? C’est très concrètement cette nuit-là que Dieu vient faire resplendir de sa lumière. 

​Quelle est donc la merveille que nous célébrons ensemble ce soir ? Nous célébrons la condescendance d’un Dieu qui a tant aimé les hommes qu’il a donné son Fils unique. Oui, aujourd’hui pour nous Dieu s’est fait homme. On le croyait tellement loin, tellement au-dessus, si peu présent… Et il vient jusqu’à nous ! On l’imaginait prisonnier de sa transcendance, et voilà qu’il devient « l’Emmanuel Dieu-avec-nous ». Il a beau être « Dieu-fort », comme dit encore Isaïe, il est en même temps infiniment vulnérable, car il vient à nous à travers le visage d’un enfant. Quel mystère étonnant ! Dans la fragilité d’un tout-petit, Dieu vient cacher la toute-puissance d’une vie dont il veut régénérer l’humanité toute entière. Pas l’humanité en général, pas l’humanité d’une manière abstraite, mais vous, nous, toi, moi. C’est pour cela qu’il vient. Il nous rejoint au cœur de notre histoire pour que se réalise cet « admirable échange » entre notre faiblesse et sa force, entre notre pauvreté et sa richesse, entre la laideur de notre péché et sa lumineuse splendeur. Dieu en définitive se manifeste en personne pour que nous fassions l’expérience de sa vie. 

​C’est donc ce soir pour chacune et chacun de nous la nuit de toutes les espérances, la nuit de toutes les renaissances. De là cette invitation à la joie que relaie pour nous toute la liturgie de cette nuit : « Je vous annonce une grande joie : aujourd’hui vous est né un sauveur ». Ces paroles de l’ange aux bergers s’adressent à chacun de nous. Elles signifient très concrètement ceci : Jésus veut naître ce soir dans le sanctuaire de notre âme, dans la crèche de notre cœur pour transformer, pour renouveler notre vie de l’intérieur. Jésus n’est pas un marchand d’illusions, un distributeur de rêves, un fabricant de magie. Comme l’écrivait Charles Péguy : « Jésus-Christ n’est pas venu nous conter des fariboles »« Il s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (saint Irénée), rien de moins que cela ! Et pour que ce prodige se réalise, il paiera le prix fort. Il consentira à descendre jusque dans l’abîme de notre mort pour que nous soyons réintroduits, nous misérables pécheurs, dans le cœur tout brûlant de l’amour trinitaire. Comme le dit saint Augustin avec des mots empreints d’un si grand réalisme : « Il a pris en nous de quoi mourir pour que nous ayons en lui de quoi vivre ». C’est ce qui confère à cette fête, en même temps que sa note de joie, un caractère de gravité. On oublie parfois que le nom de Jésus signifie « Dieu-sauve ». Or sauver, justement, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire arracher à la perdition, cela veut dire affranchir de l’esclavage de la mort et du péché. Sauver signifie encore secourir, libérer, délivrer, apaiser, délier, guérir. Autant de merveilles que Dieu aspire à réaliser en chacune de nos vies par la puissance de son amour. 

« Aujourd’hui vous est né un sauveur ».  Jésus est le Sauveur qui frappe aujourd’hui à la porte de notre cœur, pour que sa lumière resplendisse dans la nuit, pour que son salut atteigne jusqu’aux profondeurs de notre être blessé par le péché. Ainsi que l’écrivait AngelusSilesius, un mystique allemand du XVII° siècle : « Le Christ serait-il né mille fois à Bethléem, s’il ne naît pas en toi, c’est ta vie qui est perdue ». C’est donc qu’il ne suffit pas simplement ce soir de regarder, de nous laisser attendrir, de nous en mettre plein les yeux. Il importe davantage encore de nous laisser transformer par Celui que nous contemplons. Voilà l’enjeu décisif de la solennité que nous célébrons. C’est ce que nous révèle la joie simple et rayonnante des bergers : ils sont venus vers la crèche, ils ont vu et contemplé le Roi de Gloire, et ils s’en sont retournés transformés vraiment par leur rencontre avec le Fils de Dieu.

Une dernière remarque pour finir. Tandis que sera bientôt présenté dans notre pays le projet de loi visant à promouvoir l’aide active à mourir, j’en appelle à un sursaut de la conscience collective pour la protection du plus faible. Dans le nouveau-né de la crèche, en effet, c’est la fragilité de toute vie humaine, celle de l'enfant à naître comme celle du mourant, celle des pauvres comme celle des personnes handicapées qui se trouve remise entre nos mains. Au nom même de la fraternité qui est toujours créatrice de relations, créatrice d’un avenir – aussi court soit-il –, avec les équipes de soignants qui accompagnent magnifiquement nos frères et sœurs malades à l’approche de la mort, soyons les serviteurs de la vie jusqu’au bout !

​Un petit enfant se trouve remis entre nos mains dans un total abandon. Il nous tend les deux mains pour que nous le recevions comme le compagnon de chaque instant de nos vies. Il est le Dieu d’amour et de paix. Rien de ce que nous vivons au quotidien ne veut lui être étranger. Il aspire à tout prendre de notre existence pour tout assumer, pour tout transformer. Plus grande sera la place que nous lui accorderons, plus intense et plus comblant sera notre bonheur d’hommes et de femmes. Ouvrons donc la porte de nos cœurs à l’Enfant de Bethléemqui désire nous combler de ses dons. Et laissons-nous emporter par la joie de Noël, source de tendresse et d’amour. Amen.

✠ Thierry Scherrer, Évêque de Perpignan-Elne