Homélie de Monseigneur Thierry Scherrer

Frères et sœurs,

La proclamation du récit de la Passion chez l’Évangile de saint Marc a pu paraître à certains quelque peu longue et fastidieuse. C’est pourtant le cœur palpitant du message chrétien que de nous rappeler les événements par lesquels le Christ a obtenu, par sa vie offerte jusqu’à la mort, la rançon de notre salut. Nous savons que la Croix était chez les Romains le supplice le plus infamant réservé aux esclaves coupables de délits majeurs. La crucifixion n’était pas seulement une exécution, c’était une torture lente. Le condamné était d’abord fouetté, conduit au lieu de l’exécution, chargé sinon de la Croix complète, tout au moins du poteau transversal, puis attaché nu et ensuite cloué au gibet où il agonisait en proie à des soubresauts et à des souffrances atroces, tout le poids de son corps pesant sur ses plaies. Mais l’horreur de la Croix ne se limite pas à des souffrances corporelles ou physiques, aussi effrayantes soient-elles. La vraie passion de Jésus en réalité est celle qui ne se voit pas et qui le fait s’écrier au jardin de Gethsémani : « Mon âme est triste à mourir ».

Jésus est mort intérieurement avant de mourir corporellement. À Gethsémani, d’abord, puis sur le Golgotha, c’est la masse monstrueuse des péchés de l’humanité entière, les péchés collectifs comme les péchés personnels de chacun, qui assaille Jésus et le livre, au plus profond de son âme humaine, à un combat titanesque où toutes les forces de l’enfer se liguent contre lui. C’est le flot de boue, de mort et de désespoir du monde entier, du début à la fin de l’histoire, qui déferle sur le Christ crucifié.

S’il fallait recourir à une image pour évoquer ce mystère, il n’en est pas de plus suggestive, me semble-t-il, que le miracle de la photosynthèse. De même que les plantes et les arbres, par l’effet de l’énergie lumineuse, absorbent le gaz carbonique pour le transformer en oxygène, de même sur le bois de la Croix, Jésus a pris sur lui tout le péché, toute la souillure de l’humanité pour les transformer en amour. Par la seule puissance de l’amour, Jésus a transformé notre mort en vie. C’est peut-être le symbolisme que nous pourrions attacher à ce rameau béni que nous ramènerons chez nous. Qu’il est fort et puissant notre Jésus dans sa faiblesse et sa vulnérabilité ! Tandis qu’ils l’avaient mis en Croix, les bourreaux espéraient de sa part des mots de haine et de révolte ; mais Jésus n’a prononcé que des mots empreints de douceur, des paroles de pardon et d’amour. Le miracle, justement, c’est qu’au moment où la mort semble en lui victorieuse, elle est définitivement vaincue. Lorsque la haine, en lui, semble tout submerger, l’amour du Christ fait tout retourner vers la vie. Parce que Jésus a pris sur lui toute souffrance et toute haine, il nous en libère. C’est cela la merveilleuse alchimie de la Croix. Ceux qui ont pu pénétrer ce mystère, ceux qui ont reconnu le prodige d’amour dont il était la révélation en ont eu le cœur transpercé, bouleversé. Leur vie en a été changée radicalement, ils sont devenus les amis de la croix, les témoins brûlants de son amour sauveur.

​Ce matin, la liturgie nous invite à déposer notre insensibilité, notre indifférence, notre orgueil au pied de la Croix. Elle nous porte à regarder Jésus que nous avons transpercé pour que la considération de sa vie livrée jusqu’à la mort nous décide à aimer Dieu en retour, à aimer les autres en Lui avec plus de détermination et de générosité. Et peut-être aussi que la célébration de ce jour pourrait nous ouvrir à la démarche de la confession sacramentelle. En vivant pour de bon l’expérience du pardon de Dieu, nous pourrions prendre la décision ferme et – autant que cela dépend de nous – irrévocable de ne plus commettre de péché volontaire, spécialement « tel péché » auquel nous sommes encore secrètement attaché. Ce serait une manière concrète de vivre la conversion, en sachant que se convertir, c’est traverser le mur du mensonge et se mettre du côté de la vérité, c’est-à-dire de Dieu. Qu’il en soit ainsi. Amen

✠ Thierry Scherrer, Évêque de Perpignan-Elne